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Sauver la Terre: Mode passagère ou urgence absolue ?

Alain Juppé


La question environnementale est désormais au premier plan du débat public. S’agit-il d’un feu de paille, comme en raffolent les médias modernes ? Je ne le pense ni ne le souhaite.

En Amérique du Nord comme en Europe, le film de l’ancien vice-président Al Gore, intitulé An Inconvenient Truth (Une vérité qui dérange), rencontre un grand succès ; le président de l’Assemblée nationale française en a même organisé une projection spéciale à l’intention des députés. La télévision française diffuse de nombreuses émissions sur l’écologie, par exemple le beau reportage de Yann Arthus-Bertrand, auteur de somptueuses photographies présentées sous le titre La terre vue du ciel. Je ne suis pas près d’oublier les terribles images de l’ours polaire famélique que l’on voit dans son film, cherchant en vain sa nourriture sur une banquise en train de fondre. Le très populaire Nicolas Hulot, dont les téléspectateurs canadiens ont pu apprécier la série Ushuaïa sur les écrans de RDI, fait irruption dans la campagne présidentielle qui débute en France. Il n’a pas dit s’il serait candidat, mais son message et ses propositions pèsent déjà lourd dans le débat.

Je perçois une réelle prise de conscience de la gravité du problème, et cela dans des milieux divers. Parmi les jeunes, bien sûr, qui mesurent les véritables enjeux plus vite que leurs aînés et comprennent qu’il y va, à terme, de leur survie. Mais aussi, pour ne prendre que cet exemple, dans le monde de l’entreprise, à la fois parce que les dirigeants sont conscients de leur responsabilité sociale et parce qu’ils anticipent les conséquences de ce mouvement d’opinion sur leurs marchés, leurs coûts de production et leur modèle économique.
Le feu

Je souhaite que le sentiment d’urgence ne faiblisse pas, car, pour reprendre une expression du Président de la République française, “ il y a le feu dans la maison ”.

Quoi qu’en disent certains irréductibles, il existe aujourd’hui un consensus au sein de la communauté scientifique internationale pour constater que le climat de la Terre se modifie et que ce changement résulte de l’activité humaine. L’émission de quantités croissantes de gaz à effet de serre est bien la cause de la hausse des températures moyennes, dont les conséquences sont multiples et redoutables. Selon les derniers rapports publiés, le phénomène serait même en train de s’accélérer à un rythme qui surprend les scientifiques.

Au réchauffement climatique, il faut ajouter le recul de la biodiversité et la disparition dramatiquement rapide de nombreuses espèces animales et végétales. Cette disparition est d’une ampleur telle que Hubert Reeves va jusqu’à évoquer la “ sixième extinction ” de vie sur Terre. La précédente, celle des dinosaures, remonte à 65 millions d’années.

Je n’aurais garde d’oublier les méfaits de la déforestation incontrôlée qui frappe certaines régions du globe ainsi que le gaspillage des énergies non renouvelables ou des ressources naturelles rares, au premier rang desquelles figure l’eau. L’agriculture productiviste se trouve elle aussi sur la sellette, et doit changer ses habitudes.

Faut-il désespérer ?

J’ai retenu une expression d’Al Gore, que je cite de mémoire : ni “ déni ” ni “ désespoir ”. Autant il serait irresponsable de nier la gravité de la situation, autant il serait coupable de baisser les bras. L’exemple du combat victorieux mené contre les CFC, substance chimique présente dans toutes nos bombes à aérosol et destructrice de la couche d’ozone, le démontre. Les CFC ont été interdits par une convention internationale signée à Montréal, et aujourd’hui, la couche d’ozone est en train de se reconstituer.

J’ai souligné dans un précédent article l’importance du rôle que peuvent jouer, dans cette bataille, nos villes et toutes nos collectivités de base. Parce que c’est à ce niveau de proximité que les nécessaires modifications de comportement peuvent être le mieux encouragées. Et j’ai écrit, dans un récent ouvrage (1), une lettre à mes petits-enfants, dans laquelle je leur demande, puisqu’ils vont vivre sur notre planète désormais menacée, de devenir d’ardents militants de la Terre. Ce qui, à mes yeux, est aujourd’hui l’un des plus nobles combats politiques.

Mais nos gouvernements doivent aussi se mobiliser, comme vient de le faire le gouvernement français en décidant de taxer la production de carbone, de favoriser l’utilisation des biocarburants et d’augmenter les crédits d’impôt dont bénéficient les investissements qui permettent d’économiser l’énergie. La marge du progrès que nous pouvons réaliser dans le domaine des économies de ressources naturelles est considérable. Les organisations régionales, telle l’Union européenne, ont un devoir d’engagement, car les pollutions ne s’arrêtent pas à nos frontières.

La communauté internationale, enfin, ne peut rester indifférente, car le défi est évidemment planétaire. Le Protocole de Kyoto est un premier pas dans la bonne direction. Son application pleine et entière est une nécessité, et l’on peut espérer que les grands pays producteurs de gaz à effet de serre qui rechi-gnent encore à le signer ou à l’appliquer changeront d’attitude. Mais il faut dès maintenant s’attaquer à la préparation de Kyoto II, qui ne pourra laisser de côté les pays émergents, comme la Chine, l’Inde et le Brésil.

La toute récente conférence de Nairobi a été, de ce point de vue, décevante. Certes, le consensus s’est fait autour de l’idée que “ le changement climatique constitue désormais une menace à la paix et à la sécurité comparable aux conflits armés, à la pauvreté et à la prolifération des armes ”. Certes, pour la première fois également, dans des négociations internationales visant à lutter contre les changements climatiques, les gouvernements des pays industrialisés ont reconnu qu’il était nécessaire de diviser par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2050 pour contenir la hausse de la température globale en-deçà de 2°C. Mais pour l’après 2012, les parties signataires se sont contentées d’établir un plan de travail, sans évoquer la moindre modalité de prolongation, notamment à cause de la réticence des pays en voie de développement.
Une forte pression de la part des scientifiques, des ONG, de la société civile et des opinions publiques sera indispensable. Je pense toutefois qu’elle ne suffira pas, et que le moment est venu d’envisager la création d’une organisation mondiale de l’environnement, chargée de donner l’impulsion et dotée de moyens d’action, voire de la capacité à contraindre. Je mesure bien les réticences, les oppositions auxquelles un tel projet va se heurter. Mais le terrain aujourd’hui est propice à une initiative courageuse qui pourra bénéficier d’un vrai soutien populaire. Il y a urgence.

*France, mon pays : lettres d’un voyageur. Robert Laffont






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